Lettre à mon corps
Jusqu'à maintenant, je ne t'avais pas trop écouté. Je te demandais de pédaler, marcher, monter les escaliers et tu le faisais sans rechigner. En fait, je ne t'ai pas trop écouté car tu ne te manifestais pas ou si peu. Je commandais, tu exécutais. Tel était notre partenariat. Mais sur le chemin, tout a changé : l'autre jour à Figeac, tu t'es manifesté : un aiguillon sur le dessus du pied, vif mais bref, peut-être trop bref. Nous cheminions depuis vingt jours: le mal ne pouvait être que passager. Ce fut mon erreur.
Deux jours plus tard, nouvel avertissement, un peu plus ferme et plus durable. Là aussi, je t'ai ignoré.
Mais je dois te dire quand même que j'ai des circonstances atténuantes car la douleur est bien présente auprès des pèlerins. Beaucoup parlent de leurs ampoules, de leurs problèmes de genoux, de cheville mais continuent malgré tout et vivent avec cette douleur.
Sur d'autres GR, la douleur n'est pas présente comme ici. On peine aussi dans les montées, les genoux souffrent dans les descentes mais elle est vite oubliée. Sur Compostelle, la douleur semble faire partie du chemin, peut-être à cause du côté pèlerinage ?
Puis juste avant Cahors, tu as dû en avoir eu marre de mon dédain à ton égard. Et là, je n'ai pas pu faire comme si tu n'existais pas. Je n'avais plus le choix. J'ai dû t'écouter en maudissant ma trop longue surdité, pourquoi t'ai-je ignoré si longtemps ?
Maintenant, je suis tout ouï. Au moindre murmure de ta part, je tends l'oreille. Et j'ai réduit ma vitesse, j'ai aussi réduit mon parcours quotidien.
Ce matin, perdu dans mes pensées, je me suis mis à accélérer mon pas.
Mais tout de suite, tu m'as rappelé à l'ordre. Douleur intense, immédiate. Me voilà à nouveau averti. Je ne peux plus t'ignorer.