De l'argent dans la mine de Potosi

Publié le par Stève Turin


L'entrée de la mine est un boyau de 2 mètres de diamètre, boyau qui s'enfonce dans la montagne en montant très légèrement. Les chariots, chargés de minerais sur leurs rails, circulent ainsi facilement, sans être poussés, dans la direction de la sortie. Je suis seul avec un guide, on s'éclaire de nos lampes frontales. Dès qu'on rencontre un chariot, on se met de côté pour le laisser passer: il y a de petites excavations pour le faire. Je vois un mineur qui court devant un chariot puis essaie de le freiner lorsqu'il va trop vite; deux personnes sont accrochées derrière le chariot et s'efforcent de maintenir le chariot sur ses rails. Une seule voie dans le boyau: le chariot qui descend, celui qui est plein, a la priorité par rapport à celui qui monte à vide, alors les mineurs couchent le chariot montant sur le côté dans une des excavations, laisse passer le descendant puis remettent le vide sur ses rails; ils repartent alors en courant, en poussant et tirant le chariot sur la légère montée. Les mineurs portent un foulard devant la bouche pour se protéger de la poussière omniprésente, ils ont l'air jeunes, très jeunes. Avec mon guide, on s'enfonce dans la montagne, le long de ces rails, sur 500 mètres environ. Il faut marcher courbés pour ne pas se cogner sa tête contre la roche. On bifurque alors sur un autre boyau sans rail, celui-ci. Tout devient étroit, on doit se mettre à ramper sur la sol pour avancer. Au bout d'un moment, une échelle en bois, elle nous permet de prendre une galerie qui surplombe la précédente. On avance. De loin, on aperçoit des torches: ce sont des mineurs qui envoient plus bas les gravats qu'il ont pu extraire de la paroi. Ils les récupéreront plus tard et les mettront sur un chariot. Nous revenons en arrière, prenons une autre direction qui nous amène vers un boyau vertical. Je dis alors à mon guide que je ne me sens pas capable de descendre. Ma respiration devient haletante, l'air devient plus tard. Le guide me pousse un peu et me montre où mettre les pieds. Je le suis, pas très rassuré. Arrivés en bas de ce boyau, on reprend notre chemin, on rampe à nouveau, on se faufile, on se fraie un chemin dans un passage de plus en plus étroit. Tout à coup, des voix, des bruits de masse, de la lumière. Deux hommes travaillent à plus de 1000 m de l'entrée. Ces deux hommes travaillent pour eux, c'est leur filon, personne ne viendra ici car ce filon leur appartient. Ils doivent donner 2% de leur gain à l'état mais ils travaillent quand ils le veulent, ils sont leur propre petite entreprise. Le soir, ils font sauter un bout de roche et le lendemain, armés d'une massette, ils cassent les gros morceaux pour essayer d'en extraire l'argent, le minerai qu'ils recherchent. On le reconnaît à sa couleur noire. Ils doivent alors remonter leur trésor sur leur dos. Ils n'utilisent pas les chariots, c'est une petite équipe. L'un d'eux a 38 ans, il travaille dans la mine depuis 22 ans. Souvent, ils y travaillent en famille. Les enfants participent mais pas les femmes, il parait que cela porte malheur. Nous reprenons notre chemin vers la sortie. On s'arrête dans une excavation un peu plus grande où on aperçoit une petite statuette entourée de guirlande et des fils dorés.  C'est Tio, il les protège et leur aide à trouver un bon filon. 
Les mineurs ne mangent pas dans la mine, cela attise la soif; ils boivent des boissons sucrées et mâchent des feuilles de coca, cela permet de ne pas sentir la faim, de tenir le coup dans cet environnement d'obscurité, de poussière, de promiscuité. Aucune infrastructure moderne ne les aide dans leur travail. Les chariots sont tirés, poussés. On se protège les poumons par un simple foulard sur le nez.
En discutant plus tard avec un ancien mineur, il me dit que la mine fait partie de leur vie. C'est comme cela. Dès l'âge de 16 ans, on se dit qu'on a pas peur, qu'on peut le faire, qu'on n'est pas une mauviette, qu'il faut aider la famille. Un mineur gagne assez bien sa vie, plus que le salaire moyen en Bolivie. Mais son espérance de vie est assez réduite. Outre les accidents, la poussière omniprésente et le manque de protection, les maladies de poumons sont très fréquentes. 
Je sors hagard de la mine, incapable de prononcer un seul mot. Nous habitons la même planète. Ce monde-là que je découvre à l'instant existe donc bien. Je n'y comprends rien. Comment est-il possible que de telles conditions existent encore? Germinal, c'était quand déjà? Le siècle passé? avant?

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La visite des mines boliviennes est une véritable épreuve, dans tous les sens du terme. On n'en ressort pas indemne. Jean-Claude Wicky a publié un livre de photographies "Mineros, mineurs de Bolivie" (éd. Actes Sud, 2002) absolument extraordinaire.<br /> Il en a fait également un film "Tous les jours, la nuit" (https://www.touslesjourslanuit.com/fr/accueil).
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